Tuesday, October 2, 2007

Guy Chambelland

Naissance à Dijon en 1927. Etudes de Lettres. Professeur pendant sept ans,
de 20 à 27 ans.
1954 : publication de son premier recueil " La Claire Campagne ".
1957 : il fonde à Dijon la revue " Le Pont de l'Epée "", dont le titre, qui dé-
signe une épreuve périlleuse dans les romans de Chrestien de Troyes, est bien
révélateur de la haute idée qu'il se fait du poète : un " chevalier " qui se voue
corps et âme à la poésie, refusant les compromissions, les vanités, et cherchant
dans son oeuvre à faire l'alchimie du quotidien :
" Le grand poète est celui qui fait un poème de chaque chose, dispense de la
chose pour la faire exister plus fortement qu'elle-même ", déclare Edmond Carle
(... un des nombreux pseudonymes de G.Chambelland ).
1961 : parution de " Pays ", puis, en 1963, " L'Oeil du Cyclone " .
Paraissent ensuite : " La Mort la Mer " ( 1966 ) ," Le limonaire de la belle
amour " ( 1967 )," Courtoisie de la fatigue " ( 1971 ), " Noyau à nu " ( 1977 )
et " Les dieux les mouches " (1988).
Un recueil posthume qui témoigne de son amour pour la musique paraîtra en
1996: " Barocco Métrico ".
Homme d'une grande culture, doué d'une très forte personnalité, Guy Cham-
belland appréciait tous les plaisirs de la vie.
" Une attention inquiète aux difficultés d'être. Une sensualité qui ne quitte pas
la mort des yeux " : tel est le regard que porte le " Magazine littéraire " sur l'oeuvre
du poète.
Critique au même" Magazine Littéraire " en 1968-69, il le quitte pour créer à
Paris la " Librairie Chambelland ".Parallèlement, dans le Gard, il continue, en sa
Bastide d'Orniols, d'éditer sa revue " Le Pont de l'Epée ".
Travailleur acharné, il est à la fois poète, libraire, éditeur et imprimeur.A la
recherche de l'authenticité, faisant fi des modes culturelles ou " politiques ", il publie
aussi bien des auteurs anciens, connus ou oubliés, que des inconnus que sa perspica-
cité lui fait découvrir .
Dès 1967, le numéro 37-38 de sa revue, intitulé " Dix ans de sensibilité poétique",
présente de jeunes auteurs comme Franck Venaille , Yves Martin etc...
1975-76: il est directeur des Rencontres Poétiques du Festival d'Avignon .
En 1979 il cesse d'écrire pour se consacrer à l'édition, considérée par lui comme
un art,et qu'il pratique avec son exigence coutumière .
La librairie parisienne se déplace plusieurs fois pour se fixer en 1980 rue Racine :
elle prend alors le nom de " Galerie Racine " et devient lieu de rencontre de peintres
et de poètes.
En 1986, la revue est transférée dans l'Yonne, à Cerisiers, jusqu'en 1987, date
à laquelle elle cesse de paraître,remplacée, en 1988, par " Le Pont sous l'Eau " :
Guy Chambelland continue à promouvoir des poètes inconnus et s'attache également
à faire redécouvrir certains poètes des siècles précédents ( Saint-Amant etc...).
Il relit les poètes du Moyen-Age et commence une traduction de " La Chanson de
Roland ".
Deux gazettes: " L'Insolent " et " L'Anarque " témoignent de son talent de polémis-
te et contribuent à lui créer de nombreux ennemis dans les milieux parisiens ...
Il meurt dans sa propriété de Cerisiers, en 1996, laissant une oeuvre d'importance
et un impressionnant catalogue d'ouvrages édités .
On se souviendra de Guy Chambelland comme d'un homme dont l'engagement pour
la cause de la poésie fut exemplaire.

Rire
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Ton coeur se dénoue, tu t'enfonces en toi-même, te fais boule d'ombre
tiède, bouquet fané .Les arêtes de ton corps se dissolvent, et sur l'ultime
image de barbus en chapeaux melons courant à perdre souffle à reculons,
tu n'es plus qu'un éclat de rire tendre comme l'anneau bleu d'un canon de
revolver appuyé sur le coeur , violent comme les compréhensions perdues,
et retombé en paysage floconneux de grande lumière sereine interdite aux
vivants .

Choses
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L'existence tranquille,sans plus de souci d'elle-même que de la mort,
la fumée bleue d'une cigarette parmi le paysage tant aimé, la blondeur
d'une guêpe sur le repas fini, la rivière, les arbres, et ton sourire inoubli-
able ...

Mais l'Autre revient qui me tire à lui. La vie somnambule m'échoit ,
entre désir et possession , coeur et visage , choses et foi .
Dire merde au moi , et tout noyer dans ton épaule , mère mort .Pris-
matique,fulgurant, le fleuve des images libéré passe .
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Ils se regardent . Il y a un pont dans leurs yeux.
La main l'épaule l'hirondelle des seins, un dieu s'ouvre qui se dis-
tingue mal du néant, un poids égal d'âme remplace les choses, puis
comme la beauté frappait sa face, le temps vient du sommeil qui scul-
pte les profils . Ici ailleurs, l'amour est l'été de la mort .
Lequel des deux verra l'autre mourir , vivra encore, retrouvera l'ab-
sence, lequel fera la toilette du mort ?
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La jeune femme m'accueille dans le soir d'automne, elle vient derrière
la grille du jardin, dans ses seins tranquilles et ses chaussures plates com-
me si elle marchait sur un lac .
Je ne savais pas qu'elle m'avait attendu pour dîner, et tout d'un coup ,
toute pensée tout geste se ralentissent à la vitesse des arbres et de cette tab-
le blanche arrêtée dans la nuit. Comment douter alors que le coeur puisse
trahir un jour ?
Et quand je l'aime sous les pommiers, la rondeur suspendue des fruits
nous protège du dieu qui menace dans les astres .

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Cette femme que je connais à peine avec qui je descends la ville dans
le soir d'été, nous parlons de jardins et de liberté .
Quand le soleil soudain sort des murs et nous frappant de face nous
baigne debout comme fait seul l'amour ou la mort, elle ralentit son pas,
descend dans ses seins et ses hanches, pèse sur la terre son poids de
femme, et je sens battre dans mon ventre la raison vive de son ralentis-
sement. Je circule dans son sang, j'habite sa démarche .
Comme il fait beau, dit-elle .
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La femme qu'on aima jadis ici sans le savoir, elle est maintenant
l'âme même du paysage que nous fixâmes ensemble. Elle s'échappe
des bouquets d'arbres du bord de l'eau, poudroie sur la rivière en
dessous du barrage, elle est le tremblement de l'air.
L'auberge découpait la légende en deux parts, les mains le soir
sentaient le poisson frais, il y avait des roses au mur, on tirait le vin
du puits, parfois la fête s'installait sur la place.
Maintenant que tout est trahi, l'âme dans cet après-midi semblab-
le à la rayonnante fin d'été de jadis, se fond presque à l'âme de cette
femme que rien ne distingue plus du paysage. Elle tire sur un corps
à quoi elle ne tient guère que par le serrement de narines que lui fait
le parfum des menthes. Elle se cherche oiseau, qui toujours s'appel-
le Mort .
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Vue d'en haut, une femme traverse le paysage désolé ( personne,
et des arbres nus ) qui tourne immobile autour d'elle et s'offre au re-
gard comme le sol quand on s'évanouit.
Je sais tout de suite qu'elle passera forcément par la flaque de
pluie où cesse mon champ visuel et sommeille la seule lumière du
lieu.Le coeur bat plus fort à mesure qu'elle en approche, il va craquer
quand elle le touchera de ses bottes.
Il a beau ne rien se passer, j'ai beau me dire qu'elle va tout simple-
ment prendre le bus, ou voir son amant, je n'arrive pas à ne pas croi-
re qu'elle fut aussi - rose du sang, foudre habitable -, l'imminence de
la neige qui tombe maintenant, un signe de plus que la mort me fait.

Le Cinéaste
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La mort, me dit-il, voici comment je la vois.Et il filme en gros plan
une tache au milieu du lit ouvert,où il étend un petit soldat de plomb.
Puis il fait sur le mur un travelling interminable.
Il s'arrête pourtant et je n'oublierai pas de si tôt, photographié d'en
haut, ce visage de femme agenouillée au bord du lit ( l'aile d'ombre des
yeux dans la lumière des épaules comme dans les tableaux de Georges
de la Tour ) ni surtout, par le soutien-gorge mal serré, posé avec la pré-
caution d'un fruit, ce sein plein dont le poids devient d'un coup celui
de mon coeur même.
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Ce qu'il faudrait bien sûr, c'est une existence d'actes autant que de
pensées. Mais j'ai beau faire. Les autres et moi glissons dans nos ren-
contres comme des oeufs sans coquille.
Où vivre alors,ailleurs, au rebours de celle qu'on souhaitait, qu'en
cette poésie de gestes disloqués, d'images aussitôt arrêtées. Si l'instant
s'allume, c'est qu'il va s'éteindre. Je dois faire vite. Je dérobe, ne peux
posséder. Apprendre à habiter son rapt.
Ainsi dans ce jour d'hiver finissant, à contre-ciel de la lumière terne
prise dans les branchages désolés, cette fille en bottes et chandail de
grosse laine ( la soie lisse le genou, les hanches enflent l'étoffe ), tiède
sur la neige salie, seule, hors d'histoire, charpente le poème.

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Chaque matin j'attends. Quelqu'un ou quelque chose. Un dieu ou
une femme.

Je voudrais bien n'être pas cet homme seul au bout de la journée
comme au seuil d'une plaine stérile, mais on me force, on me met de-
bout, on me tourne vers l'autre.

Et c'est toujours la même tristesse, les mêmes larmes rentrées par
vieille habitude orgueilleuse. Puis l'angoisse larvaire, l'affaissement
des muscles, l'effritement des os, le trou entre les épaules où l'être
va sombrer, le coeur en perte de vitesse, l'existence au niveau des
tripes avec pour seule présence de l'âme l'oeil froid ouvert sur son
échec.

Chaque matin je dis non, j'essaie. De me faire à moi, d'être bien
dans ma peau, d'aménager mon désarroi, ou encore, à l'autre bout,
de prendre place sans penser parmi les choses, comme le facteur en-
tre les arbres de la cour, ou le paysan dans sa vigne ( le morse lent
de son sécateur dans l'air clair ).D'être brut comme manche en main.

Saurai-je jamais choisir, en sortir ? Je ripe. Qui viendra, qui vien-
drait ? Qui d'autre que le facteur de chaque jour ? Ou ce corbillard à
deux chevaux entré en rêve dans ma cour, et le cocher descend et
cherche. Dont le regard monte, glace ma plaisanterie, fixe le mien.
Me force à tomber par la fenêtre ouverte pour l'interpeller .

Les poèmes ci-dessus sont extraits de " L'Oeil du Cyclone "
( 1953-1963 )


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Quand le coeur tout d'un coup me manque, qui dois-je me faire, eau
ou pierre, pour m'habiter inhabitable ?
Ne suis-je qu'une vieille, ne suis-je qu'un pitre ?
Poème, statue sur l'eau, - mais moi ?

Comme j'avançais encore, maladroit entre chiens et roses, entre femmes
et dieux, la mort me mit son bâton dans le corps .

On peut me voir .
Il me tient debout .

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La mort, ce devrait être ce centre d'absences
qui se forme entre les épaules quand je me cherche
cet égarement indicible
entre une immense douleur
et le trou brut de la folie

Mais j'y suis toujours
j'existe encore
ne fût-ce que par ce que je vois, si peu
les mouches
l'arbre dans les petits carreaux de la fenêtre
par l'inutilité des choses qui m'entourent
par cette poussée occulte sur quoi on m'a greffé

Alors ?
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A Emilienne Kerhoas

Il se met à pleuvoir, très doux, sur les collines . Au parfum de buis que
dégage la terre, aucun doute : j'approche . Demander de quoi ( à qui ? )
irait contre la Poésie. Seule une muraille d'air m'en sépare .
Une femme passe. Au contact de la pluie, sa chair se fait diamants .
Comme le tronc le feuillage, elle promène son dieu. Je m'envole alors
et m'arrête juste au-dessus d'elle, où, de l'épée que fait naître ma main
levée, je la transperce de la nuque au talon. Tel le taureau .
Les voiles alors devraient se déchirer, les portes secrètes basculer, les
mots éclore leurs objets, la lumière, c'est-à-dire l'âme, se faire .
Or rien .
Il faut en prendre son parti . Ce ne sera pas encore pour aujourd'hui .
Hé oui . Rien que la pluie sur les collines . Que pouvoir dire qu'il pleut.
Qu'il pleut doux. Très doux. Comme les yeux des chèvres .

Les trois poèmes ci-dessus sont extraits de " La Mort la Mer "
( 1966 )


Le cri
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Roseraies au mur, au soleil . Beauté mains coupées .
La bête me frappe à la nuque .
Vous seules me dites alors, porcheries du sommeil, serpent à tête
d'aquarium.
Au réveil le porche du ciel, c'est la mort en bleu vertical, insoute-
nable à l'oeil, où s'engouffre l'enfant .
Corps traversé par les miroirs, nul n'entend alors le cri du dormeur,
corde au point de rupture, si haut qu'il est silence, comme dans la toile
de Brauner.
Seul peut-être le chat qui s'étire, l'abeille qui s'éloigne .
Mais non .
L'enfant joue entre les feuilles, les choses se refont familières .
Sursis, sursis .

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Un chant cessa. Il fallut me faire aux choses les plus humbles , et
surtout les plus séparées : comme un peintre mettrait en petits carrés
de couleurs juxtaposés un même ciel chaviré comme les yeux dans
l'amour. Poser les pigeons comme des chaises. Changer les gestes
en statues. Sans doute au fond rester le cercle, le mouvement tourné
sur lui-même, l'indicible océan, mais paraître le parc parfaitement tra-
cé, parallèle, perpendiculaire, anguleux toujours .
En boule sous l'oreiller, dans un coin ( qui s'arrondit ) , redevenir
son foetus. Alchimiste de son seul retour au ventre maternel.
Ou artisan cubique, mécanique, fardé d'indifférence solaire comme
les jaunes de Fernand Léger.
Entre les deux quelques mots peut-être, où habiter, où exister un
peu, où subtilement, et pour rien, se nuancer.

Une épaule nue change la perspective figée par midi .
Epaule pareille à un saule sans saule.
Etre l'oeil et les mains .

Derrière, des fleurs, hors d'un vase .

Une aube
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A l'aube c'est toujours la même chose, la même absence des choses .
La flambée de la veille, quelle cendre ! L'alcool, le tabac, la femme, le
tiède des images, le petit dieu, c'est maintenant la tripe en compote, les
yeux éteints, et l'autre au grain de peau insupportable à regarder, insou-
tenable autant que moi. La rose qui rêve dans le jardin ou dans le vase
ne dit plus que ma différence et la musculaire musique du jazz nocturne
une dérisoire exhibition .

Beauté Misère
chaque jour je vous vis dans un ordre contraire
je vous dis vous écris
je prends conscience
manque le poème

Poèmes extraits du recueil " Courtoisie de la Fatigue "
( 1971 )